Migrants et drogues: réponses sanitaires et sociales

Introduction

Ce mini-guide s’inscrit dans le cadre plus vaste du document intitulé Health and social responses to drug problems: a European guide (Réponses sanitaires et sociales aux problèmes de drogue: un guide européen). Il fournit une vue d’ensemble des aspects les plus importants à prendre en considération lors de la planification ou de la fourniture de réponses sanitaires et sociales pour les migrants faisant usage de drogues, et examine la disponibilité et l’efficacité des réponses. Il examine également les conséquences sur les plans politique et pratique.

Dernière mise à jour: Décembre 2023.

Sommaire:

Vue d’ensemble

Éléments clés

Les migrants constituent un segment très hétérogène de la population et les liens entre migration et usage de drogue sont complexes.

À l’arrivée, la prévalence de l’usage de drogue chez les migrants est généralement inférieure à celle observée dans le pays d’accueil. Néanmoins, certains migrants peuvent avoir déjà fait usage de drogue avant leur arrivée et nécessiter des soins médicaux en rapport avec la drogue. Il est particulièrement important d’assurer la continuité des soins pour les personnes recevant un traitement par agonistes opioïdes et/ou un traitement antirétroviral, mais il peut être difficile de déterminer les équivalences médicamenteuses et de communiquer les pratiques de prise en charge clinique du pays d’accueil. 

D’autres migrants peuvent être plus vulnérables à la consommation problématique de substances après leur arrivée pour toute une série de raisons, notamment les traumatismes, le chômage et la pauvreté, ainsi que la perte du soutien familial et social. Les migrants peuvent faire usage de drogues pour faire face aux traumatismes, à l’ennui, ainsi qu’à l’incertitude et à la frustration liées à leur statut d’immigration. La vulnérabilité des migrants peut encore être aggravée par un manque d’informations sur les services de soins de santé et des difficultés d’accès aux traitements. 

Les données et la littérature sur la prévalence de l’usage de substances et les habitudes en la matière au sein des populations migrantes en Europe sont rares; or, ces lacunes font obstacle à une évaluation approfondie des besoins de ce groupe (Humphris et Bradby, 2017; Blom et al., 2016).

Réponses

Il existe peu d’interventions axées spécifiquement sur l’usage de drogue parmi les migrants, et lorsque de telles réponses sont identifiées, on en sait peu sur leur efficacité. Le plus souvent, l’accent est mis sur le problème plus large de la santé des migrants, ou sur l’amélioration de l’accès aux services de prise en charge existants dans ce domaine pour ce groupe. Les réponses actuellement en place sont notamment les suivantes:

  • des interventions visant à faciliter et à améliorer l’accès aux services de santé, y compris les services de traduction et les documents d’information, la médiation culturelle, les compétences et la formation culturelles, le travail entre pairs, les aides tenant compte de la dimension de genre et l’insertion sociale;
  • des procédures de dépistage et d’évaluation des besoins adaptées aux demandeurs de protection internationale et aux migrants en situation irrégulière, en particulier à leur arrivée;
  • la mise en place d’interventions rapides dans des centres d’hébergement pour migrants;
  • la mobilisation des populations migrantes par l’intermédiaire de structures à bas seuil d’exigences; et
  • l’assurance que les services de prise en charge soient fournis dans le cadre de services de santé intégrés pour les migrants.

Panorama européen

  • Il n’existe actuellement aucune vue d’ensemble à l’échelle européenne quant à la disponibilité de services répondant aux besoins sanitaires et sociaux des migrants confrontés à des difficultés liées à la drogue. Au niveau national, les politiques en matière de drogue dans les pays de l’UE se concentrent rarement sur les besoins des migrants qui en font usage et, dans l’ensemble, les études suggèrent que les besoins des migrants dans des domaines tels que les soins de santé mentale, les soins préventifs et les services thérapeutiques ne figurent pas en tête des priorités. Néanmoins, ces dernières années ont les interventions se développer dans un certain nombre de pays, bien que les données sur leur efficacité, leur disponibilité et leur couverture demeurent lacunaires. La majorité des pratiques semblent être axées sur l’accès à des populations de migrants spécifiques, les interventions ciblées véritablement liées aux drogues étant peu nombreuses.

Principaux problèmes liés à l’usage de drogue chez les migrants

Répondre de manière appropriée aux questions relatives à la migration est devenu une préoccupation de plus en plus importante pour l’élaboration des politiques européennes au cours de la dernière décennie. La migration est une question complexe qui nécessite de prendre les devants pour relever les défis posés par les récents mouvements migratoires en provenance de pays tiers ainsi que par les flux migratoires intra-européens. En outre, toute analyse à cet égard devrait impliquer de répondre aux besoins en matière de santé des communautés de migrants établies de longue date au sein de l’UE, où l’existence d’inégalités sanitaires et sociales est connue (De Kock, 2022). 

Les évolutions récentes, notamment la guerre en Ukraine, ont également conduit à une reconnaissance accrue du fait que la santé mentale des migrants (Giacco et al., 2018) et leur bien-être physique devraient faire l’objet de la même attention. Cette approche inclut les questions liées à l’usage de substances et à la mise en place de réponses appropriées.

Les migrants constituent un segment très hétérogène de la population (voir l’encadré Les migrants dans le contexte de l’UE - qui sont-ils?), et les liens entre migration et usage de drogue sont complexes. Les taux d’usage de substances chez les migrants, en particulier chez les migrants récents, sont souvent inférieurs à ceux enregistrés au sein de leurs communautés d’accueil, reflétant les types de comportement des usagers de drogue dans leur pays d’origine (Jane-Llopis et al., 2006 ; Harris et al., 2019). Toutefois, des études suggèrent qu’au fil du temps, la prévalence de l’usage de substances au sein des communautés de migrants devient de plus en plus similaire à celle observée dans la population générale (Horyniak et al., 2016; Hurcombe et al., 2010; Priebe et al., 2016; OMS, 2018).

Un certain nombre de facteurs de risque connus, auxquels les migrants peuvent être confrontés, sont susceptibles d’entraîner une augmentation de la prévalence de l’usage de substances. Il s’agit notamment, sans s’y limiter, du chômage et de la pauvreté, de la perte des réseaux de soutien familial et social, et du passage à un environnement culturel où l’usage de drogue et la consommation d’alcool peuvent être davantage tolérés sur le plan social. D’autres facteurs de risque ont été recensés, tels que, notamment, des conditions de vie socio-économiques défavorables (avant et après la migration), des expériences traumatisantes, un faible niveau d’éducation, la séparation familiale, le statut familial et socio-économique, l’environnement de travail, le stress et l’exclusion sociale (De Kock, 2022).

De même, il est inquiétant de constater que, pour les personnes qui ne disposent pas d’un lieu de résidence préétabli, les stupéfiants peuvent, à l’arrivée dans un pays d’accueil, être utilisés pour faire face au stress, au malaise, à l’incertitude et à la frustration quant au statut d’immigration. Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés, lesquels peuvent être associés à un risque élevé de problèmes d’usage de substances au sein de ce groupe, notamment: la durée de détention par les services d’immigration, la menace d’expulsion et l’absence d’accès aux services de santé, d’éducation et d’aide sociale (De Kock, 2022). Les migrants récents peuvent également être vulnérables en raison du manque d’informations sur les traitements et, éventuellement, des difficultés d’y accéder. À titre d’exemple, dernièrement, l’assurance de la continuité des soins a été considérée comme une priorité pour répondre aux besoins des migrants venant d’Ukraine, car il a souvent été constaté que ceux qui recevaient un traitement pour usage de drogue en Ukraine ignoraient comment accéder à un soutien adéquat ou poursuivre le traitement dans leur pays d’accueil.

De même, des éléments probants suggèrent que, du fait des événements négatifs qu’ils ont vécus, certains migrants peuvent être particulièrement vulnérables à l’apparition de problèmes d’usage de substances (Horyniak et al., 2016; Knipsscheer et al., 2015; Lindert et Schimina, 2015; Bogic et al., 2012; Brendler-Lindqvist et al., 2014). Le fait de vivre des événements traumatisants avant et après la migration, ainsi qu’au cours du parcours migratoire lui-même, peut, par exemple, contribuer à des facteurs de stress mentaux qui pourraient se traduire par un risque accru de trouble du stress post-traumatique, de dépression ou d’autres problèmes de santé mentale, ce qui pourrait, à son tour, accroître le risque de voir apparaître des problèmes d’usage de substances après la migration. Le trouble du stress post-traumatique a notamment été identifié comme constituant un facteur de risque de problèmes d’usage de substances (Knipscheer et al., 2015; Lindert et Schimina, 2015). Ces préoccupations sont particulièrement élevées pour les réfugiés et les demandeurs de protection internationale (Horyniak et al., 2016). 

Dans ce qui constitue souvent une situation complexe et en rapide évolution, une planification efficace des services peut reposer sur une compréhension de la prévalence des facteurs de risque et des habitudes en matière d’usage de substances au sein des populations migrantes, quelle que soit leur ancienneté dans le pays d’accueil. Cependant, ces informations font souvent défaut (Humphris et Bradby, 2017; Blom et al., 2016; Bogic et al., 2012; Lindert et Schimina, 2011; Knipscheer et al., 2015; OMS, 2018; Priebe et al., 2016; Hurcombe et al., 2010; Horyniak et al., 2016; Harris et al. 2019) et il n’existe pas de processus normalisé de collecte de données axé sur le statut migratoire des personnes qui entament un traitement pour usage de drogues ou ayant recours à d’autres services de prise en charge. 

La collecte de données et les exercices de suivi peuvent s’avérer difficiles dans certains pays en raison de contraintes juridiques concernant les données qui peuvent être collectées sur la race, l’origine ethnique et même, dans certaines circonstances, la nationalité. Il est donc urgent d’élaborer des approches qui puissent éclairer le ciblage et la planification des services pour répondre aux besoins des communautés de migrants, tout en respectant la protection des données au niveau national ainsi que les règles et procédures éthiques. 

Obstacles à l’accès aux services

Lors de l’examen des besoins de santé des migrants, il est particulièrement important de définir les obstacles susceptibles de limiter la capacité des migrants à accéder à des services de santé aussi bien génériques que spécialisés (Lindert et Schimina, 2011; Blom et al., 2016; Mdeira et al., 2018). 

Il arrive que les migrants qui ont besoin d’aide pour faire face à un problème de drogue ne soient pas au courant, par exemple, de l’existence de services de prise en charge, ou qu’ils craignent de révéler qu’il font usage de drogues ou cherchent de l’aide, de peur d’être stigmatisés et d’en subir les conséquences négatives, telles que le risque d’expulsion, la perte du droit de séjour ou du droit au logement et autres avantages, voire même la perte de la garde de leurs enfants. Les questions linguistiques constituent également un obstacle important dans l’accès aux services et à leur prestation, étant donné que de nombreux migrants ne parlent pas la langue du pays d’accueil.

Les autres obstacles à l’accès à des services spécialisés de santé mentale ou de prise en charge au sein de ces populations sont notamment les suivants: comportements différents face à la demande d’aide, attentes culturelles différentes à l’égard des professionnels de santé, attitudes négatives à l’égard des prestataires et de la part de ces derniers, longues listes d’attente, et croyances culturelles sur la santé mentale.

Réponses aux problèmes liés à la drogue chez les migrants

Dans les pays de l’UE, les migrants peuvent avoir droit à des soins de santé d’urgence, mais ces dispositions varient d’un pays à l’autre. En outre, il existe généralement des approches génériques qui permettent de prendre en charge les problèmes de santé des migrants; celles-ci peuvent parfois inclure un soutien face aux problèmes d’usage de substances. Dans l’ensemble, on observe cependant une absence de services spécialement conçus pour traiter les problèmes de drogue parmi les migrants en Europe. Toutefois, cette situation évolue lentement avec la mise en place, ces dernières années, de services spécialisés dans plusieurs pays.

Les interventions mises au point pour faciliter et améliorer l’accès aux services de santé généraux parmi les populations migrantes portent généralement sur les aspects suivants: accroître la sensibilisation aux services existants et l’accès à ceux-ci; fournir des services de traduction et d’interprétation; procéder à des ajustements en ce qui concerne les modèles de prestation de services afin d’être plus sensibles aux différences culturelles ou aux besoins spécifiques des migrants; et employer du personnel de liaison, d’orientation ou de sensibilisation pour faciliter l’orientation et le recours aux services (De Kock, 2022). 

Les principaux éléments de ces interventions peuvent notamment être les suivants:

  • Services de traduction visant à améliorer l’expérience des locuteurs de langues étrangères dans les services de santé ainsi que leur maintien et leur adhésion aux programmes de traitement (Guerrero et al., 2012; Aelbrecht et al., 2012). Ces réponses permettent de remédier aux barrières linguistiques en mettant des interprètes qualifiés à la disposition des services compétents, ou en utilisant des applications en ligne, des cartes de communication et des approches basées sur la télémédecine. Au-delà de leur traduction, il peut être nécessaire d’adapter les supports de communication dans le domaine de la santé à des publics spécifiques. Bien que les recherches dans ce domaine accusent un retard considérable, certaines études suggèrent que le recours à des traducteurs peut contribuer au suivi d’un traitement pour usage de substances parmi les migrants qui présentent un risque élevé de renoncer à se soigner.
  • Services de médiation culturelle, qui peuvent être proposés parallèlement à des services de traduction, afin de faciliter la communication entre des personnes parlant des langues différentes et issues de milieux culturels différents (Guerrero et al., 2012). Les médiateurs culturels sont des professionnels qui peuvent fournir des informations sur différents ensembles de valeurs, d’hypothèses et de conventions socioculturelles en clarifiant les expressions et les concepts culturels qui pourraient donner lieu à des malentendus. Ils peuvent faciliter l’adaptation des protocoles et procédures de traitement par agonistes opioïdes dans le pays d’accueil, lesquels peuvent différer de ceux en place dans le pays d’origine, tout en tenant compte des différences dans les législations antidrogues et les normes culturelles ou sociétales en matière d’usage de drogues dans le pays d’accueil.
  • Compétence et formation culturelles afin d’encourager les professionnels de santé à être sensibles à la culture et de leur en donner les moyens: a) en réfléchissant à leurs propres antécédents et présupposés culturels et à la manière dont ils peuvent exercer une influence sur leurs rencontres cliniques avec les migrants, et b) en étant davantage conscients des différentes croyances et attentes des populations migrantes lors de la planification du traitement au niveau individuel et organisationnel (Guerrero et al., 2012). En outre, les organisations et les professionnels peuvent prendre en compte les facteurs structurels et sociaux qui influencent l’usage de substances et l’accès au traitement pour les migrants et les minorités ethniques.
  • Travail entre pairsdans la mise en place d’interventions ciblées, notamment l’utilisation d’approches qui facilitent l’accès aux parents migrants, la formation des migrants à l’élaboration et à la diffusion de méthodes de prévention, et la définition de priorités en matière de prévention en collaboration avec ces populations.
  • Des services tenant compte de la dimension de genre pour répondre aux besoins de groupes particuliers. Cela est d’autant plus important que les services européens de réduction de la demande de drogues ont souvent été mis en place dans le contexte d’une population cible majoritairement masculine, ce qui souligne la nécessité de se recentrer sur des services à la fois pertinents au regard du genre et sensibles à la dimension de genre. Il convient d’envisager de proposer des traitements destinés exclusivement aux femmes, tenant compte des traumatismes, non stigmatisants et intégrant la dimension de genre, dans lesquels une attention particulière est également accordée aux besoins en matière de garde d’enfants [voir «Women and drugs: health and social responses» (Les femmes et la drogue: réponses sanitaires et sociales)].
  • Approches tenant compte des traumatismes qui reconnaissent les signes et les symptômes de traumatismes chez les patients (et le personnel) et le rôle que cela peut jouer dans leur vie; qui évitent la répétition des traumatismes; et qui rétablissent les sentiments de sécurité et d’estime de soi (Turrini et al., 2019; Wenk-Ansohn et al., 2018).

Interventions ciblant les migrants et les problèmes liés à la drogue

Il existe actuellement un éventail limité mais croissant de services et d’interventions liés à la drogue dans les pays européens visant spécifiquement les migrants confrontés à des problèmes de drogue. Toutefois, il est important de noter que si des interventions ciblées existent, on en sait peu sur leur efficacité.

La stratégie de l’UE en matière de drogue 2021-2025 met l’accent sur la nécessité de lever les obstacles à l’accès aux services d’aide et aux traitements en ce qui concerne les principales caractéristiques du groupe cible, tels que les facteurs démographiques (notamment le contexte culturel), les facteurs situationnels (notamment la migration) et les facteurs personnels (notamment la santé mentale et le bien-être). Elle reconnaît également que les migrants font partie des groupes spécifiques de personnes faisant usage de drogues et souffrant de troubles liés à cet usage, et dont les besoins en matière de soins peuvent être plus complexes ou plus spécifiques.

Des interventions ciblées sont élaborées dans le contexte des procédures de dépistage et d’évaluation des besoins, des interventions rapides, de la continuité des soins, des services de santé intégrés et de la réinsertion sociale.

Dépistage et évaluation des besoins

Il est important d’instaurer des procédures de dépistage et d’évaluation des besoins pour les demandeurs de protection internationale et les migrants en situation irrégulière, en particulier à leur arrivée. Ces procédures devraient inclure des mesures visant à évaluer les éventuels problèmes d’usage de substances. De même, il est essentiel que le personnel de tous les services, tel que celui préposé aux logements et aux dispensaires, soit attentif aux éventuels problèmes.

Interventions brèves

Certaines études suggèrent que des interventions rapides proposées dans des établissements accueillant des demandeurs de protection internationale et des migrants en situation irrégulière peuvent contribuer aux stratégies de prévention et en tant qu’éléments d’approches communautaires ou à composantes multiples (Greene et al., 2019). Les interventions rapides dans ce contexte visent généralement à prévenir le passage d’un usage récréatif de substances à un usage à haut risque, puis d’un usage à haut risque à des troubles liés à l’usage de substances. Toutefois, des éléments de preuve supplémentaires sont nécessaires pour déterminer leur efficacité à cet égard.

Continuité des soins

Un certain nombre de migrants arriveront avec des problèmes avérés liés à l’usage d’opioïdes et pourraient avoir besoin de soins médicaux pour traiter leur dépendance aux opioïdes, notamment d’un traitement par agonistes opioïdes, ainsi que d’un soutien pour la prévention ou le traitement des maladies infectieuses liées à l’usage de drogues. Il est particulièrement important d’assurer la continuité des soins pour les patients recevant un traitement par agonistes opioïdes et/ou un traitement antirétroviral, car l’interruption des soins peut entraîner une rechute ou d’autres conséquences négatives sur la santé.

Les éventuelles difficultés rencontrées pour assurer la continuité des soins parmi les personnes recevant un traitement par agonistes opioïdes sont les suivantes: difficultés à déterminer les équivalences entre les médicaments prescrits dans le pays d’accueil et dans le pays d’origine; nécessité de faire passer le patient au médicament prescrit disponible dans le pays d’accueil; et communication de pratiques de prise en charge clinique susceptibles de différer de celles du pays d’origine (par exemple, la nécessité de se soumettre à une analyse d’urines).

Les structures à bas seuil d’exigences, qui ne disposent pas ou disposent de peu de critères d’accès et qui touchent activement les populations vulnérables, peuvent être particulièrement attrayantes pour les demandeurs de protection internationale et les migrants en situation irrégulière.

Services de santé intégrés

La mise en place de services de santé intégrés et d’une coordination avec les services de logement et les services sociaux sont susceptibles de constituer un élément important pour apporter une réponse efficace aux besoins de santé des migrants (Roberts et al., 2015). En effet, tant au sein de la population générale que parmi les migrants, l’usage problématique de substances est souvent associé à des troubles de la santé mentale et à un milieu social défavorisé. Ces types de problèmes peuvent être particulièrement aigus parmi les demandeurs de protection internationale et les réfugiés.

Peu de pratiques en matière de traitement de l’usage de substances ciblant spécifiquement les migrants ont été évaluées de manière fiable, mais un certain nombre d’essais ont été menés en rapport avec des méthodes axées sur les traumatismes. La thérapie cognitivo-comportementale visant à réduire l’usage de substances s’est également avérée bénéfique au sein des populations migrantes non réfugiées (Turrini et al., 2019). Ces interventions, ainsi que d’autres interventions dans le domaine de la santé mentale, pourraient soutenir les efforts visant à s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’usage problématique de substances. 

Parmi les autres interventions visant à améliorer la santé mentale des personnes issues de l’immigration, citons la sensibilisation aux contextes culturels et contextuels dans le cadre du traitement, ou le développement de liens entre les établissements hébergeant des migrants nouvellement arrivés et les services de soins de santé mentale (De Kock, 2022).

Réinsertion sociale

Les services de réinsertion sociale peuvent également jouer un rôle important en facilitant l’insertion au sein de la communauté d’accueil des migrants qui font usage de drogues (Priebe et al., 2016). La réinsertion sociale, qui est généralement axée sur le logement, l’éducation et l’emploi, peut jouer un rôle dans la réduction de la prévalence des troubles de la santé mentale et dans la levée des entraves à l’accès aux traitements, ainsi que dans le soutien à la guérison pour les usagers de drogues. 

Panorama européen: disponibilité des interventions liées à l’usage de drogues pour les migrants

Il n’existe actuellement aucune vue d’ensemble à l’échelle européenne quant à la disponibilité de services répondant aux besoins sanitaires et sociaux des migrants confrontés à des difficultés liées à la drogue (De Kock,, 2022) Au niveau national, les politiques en matière de drogue dans les pays de l’UE ne sont pas souvent spécifiquement axées sur les besoins des migrants qui en font usage et, dans l’ensemble, les études suggèrent que les besoins des migrants en Europe dans des domaines tels que les soins de santé mentale, l’aide à la prévention et les soins à long terme ne figurent pas en tête des priorités (De Kock, 2022). Cette situation évolue lentement et, ces dernières années, les interventions se sont développées dans un certain nombre de pays, mais les données sur leur efficacité, leur disponibilité et leur couverture restent limitées (De Kock, 2022).

L’accès aux soins de santé généraux et aux services spécialisés, tels que la santé mentale et le traitement de l’usage de substances, dépend de l’organisation des systèmes de santé de chaque pays – de la manière dont ils abordent la question de l’inclusion en matière de soins de santé s’agissant de différents groupes de migrants ainsi que de leur capacité à concevoir et à mettre en œuvre un soutien médical pour les réfugiés et les demandeurs de protection internationale qui tienne compte de leur situation et de leurs besoins spécifiques (OIM, 2016, 2018).

Un certain nombre de recommandations susceptibles de se concrétiser ont été élaborées dans le cadre du projet SEMID-EU, financé par la Commission européenne. Cette initiative vise à combler les lacunes en matière de connaissances et d’expérience pratique concernant l’usage de drogues et la migration en Europe afin d’améliorer le bien-être et la santé des migrants vulnérables qui font usage de drogues. Une étude Delphi en trois phases a récemment été menée dans le cadre du projet SEMID-EU afin d’élaborer des déclarations de consensus et des recommandations parmi les experts de la société civile en Europe sur l’usage de drogues et l’accès aux services de soins pour les migrants vulnérables dans l’Union européenne. Cette étude a atteint des niveaux élevés de consensus sur 20 déclarations et 15 recommandations. Les recommandations portaient sur l’amélioration de la disponibilité de données fiables, l’élaboration de documents d’appui, le renforcement de la collaboration entre les États membres de l’UE et l’élimination des obstacles à l’accès aux services liés à la drogue (voir l’encadré Recommandations d’action pour améliorer l’accès aux services liés à la drogue pour les migrants qui font usage de drogues) (van Selm et al., 2023). Le projet devrait notamment déboucher sur un exercice de cartographie des besoins locaux des groupes de migrants à Amsterdam, Athènes, Berlin et Paris, ainsi que sur l’élaboration de boîtes à outils et de lignes directrices pratiques.

De nombreux pays européens accordent aux réfugiés l’accès aux soins de santé, même si des limites peuvent s’appliquer aux soins proposés. Ces restrictions peuvent être encore plus importantes pour les demandeurs de protection internationale et les migrants en situation irrégulière. Toutefois, certains pays s’efforcent d’améliorer l’accès aux soins de santé pour ces populations. L’Espagne, par exemple, a rétabli l’accès universel au système national de santé pour tous les habitants du pays, quelle que soit leur situation administrative. En Lettonie, une nouvelle loi accorde aux apatrides le droit de bénéficier d’une assistance médicale minimale financée par l’État. À Chypre, un projet gouvernemental cofinancé couvre les frais médicaux des ressortissants de pays tiers, notamment ceux des demandeurs de protection internationale (EMN, 2019).

Dans les pays européens, un certain nombre d’interventions ont pour objectif de surmonter les barrières linguistiques dans les soins de santé, y compris les services de prise en charge. Les approches utilisées comprennent la promotion des compétences culturelles et l’offre de services de traduction ainsi que la diffusion multilingue de supports d’information sur l’utilisation de substances par des moyens tels que des dépliants et des vidéos en ligne ou des applications pour smartphones (De Kock, 2022).

En Belgique par exemple, des médiateurs culturels sont employés dans les hôpitaux pour surmonter les barrières linguistiques et culturelles dans divers contextes de soins de santé (Verrept, 2019), et en Suède, un service de télépsychiatrie est disponible dans tout le pays pour faciliter l’accès des réfugiés aux services de santé mentale (OMS, 2018). En Allemagne, un projet spécifique propose des vidéos en ligne qui attirent l’attention sur les conséquences possibles de la consommation d’alcool, de cannabis ou de médicaments prescrits sur ordonnance. Ces vidéos sont disponibles en allemand, anglais, arabe, dari et tigrinya, et elles peuvent être utilisées par les professionnels travaillant avec ces populations migrantes (Mittel et al., 2018). En Belgique, une application pour smartphone adaptée aux réfugiés a été mise au point pour fournir une vue d’ensemble des services d’aide sociale et de santé mentale, entre autres (Mascia, 2020).

Des interventions et des ressources développées pour améliorer les compétences culturelles sont disponibles dans un certain nombre d’États membres, bien qu’il n’existe pas de données sur leur portée et leur mise en œuvre. Souvent, ces mesures comprennent la formation et l’accompagnement des professionnels travaillant avec des migrants et des minorités ethniques, l’élaboration de guides sur la manière d’accroître les compétences culturelles et l’établissement de liens entre les différents services dont ces populations ont besoin (De Kock, 2022). 

Interventions ciblées

Dans toute l’Europe, il existe un certain nombre d’initiatives opérationnelles conçues spécifiquement pour les migrants ou pour certains groupes de population migrante, qui comprennent souvent différentes composantes, telles que des évaluations de la santé, des interventions rapides et des traitements résidentiels et ambulatoires.

Par exemple, en Grèce, le projet REFRAME répond aux besoins d’urgence et favorise l’autonomisation des réfugiés et autres migrants. Il consiste en une évaluation systématique des besoins et une sensibilisation à l’usage de substances (De Kock, 2022). Des groupes de prévention et d’intervention précoce pour les familles, les parents, les enfants et les jeunes sont également proposés, de même qu’une aide psychosociale pour les usagers de drogues et une orientation vers d’autres services si nécessaire. Le projet REFRAME forme également les professionnels et les bénévoles qui travaillent dans des centres et des foyers d’hébergement afin d’identifier les problèmes liés à l’usage de substances et les possibles orientations vers d’autres services.

À Berlin, un programme de traitement résidentiel cible des patients issus de milieux culturels divers. Il prévoit une thérapie individuelle et de groupe interculturelle, une médiation avec les proches et un soutien en matière de migration et de problèmes sociaux (De Kock, 2020). De même, en Grèce, Kethea Mosaic propose une aide psychosociale interculturelle et d’autres services permettant de faciliter l’insertion sociale et la prévention des rechutes chez les migrants qui font usage de drogues, bien que cela s’inscrive dans le cadre d’un programme non résidentiel à bas seuil d’exigences (De Kock, 2022). 

Implications politiques et pratiques

Éléments de base

  • Les taux de prévalence de l’usage de substances chez les migrants à leur arrivée sont généralement inférieurs à ceux des populations d’accueil, mais les migrants peuvent être plus vulnérables aux problèmes d’usage de substances pour tout un ensemble de raisons, telles que les traumatismes, le chômage et la pauvreté, la perte du soutien familial, l’ennui, ainsi que l’incertitude et la frustration liées à leur statut d’immigration.
  • La vulnérabilité de cette population peut être aggravée par un manque d’informations sur les services de prise en charge ou d’accès à ceux-ci.
  • Les difficultés linguistiques peuvent constituer un obstacle important à l’évaluation des besoins des migrants et à la facilitation de leur accès aux soins.

Perspectives

  • Des services ciblés visant à répondre aux besoins des groupes de migrants sont mis en place dans plusieurs pays et il conviendrait de diffuser les exemples de pratiques prometteurs.
  • Un suivi régulier et des évaluations des besoins pourraient être développés afin d’améliorer la compréhension des priorités dans ce domaine. 

Lacunes

  • Les connaissances sur l’ampleur et la nature des problèmes liés à la drogue parmi les nouveaux migrants en Europe sont limitées.
  • À l’heure actuelle, peu de politiques nationales en matière de drogue concernent la santé des migrants. Les interventions doivent être élargies afin d’analyser et de gérer les barrières culturels, les besoins en traduction et en interprétation, ainsi que les exigences visant à accroître les compétences du personnel pour travailler avec différentes populations migrantes. 
  • Les interventions dans ce domaine doivent être évaluées afin que la base factuelle actuellement limitée puisse être élargie.

Autres ressources

EMCDDA

Autres sources

Références

Aelbrecht, K., et al. (2019), ‘Determinants of physician–patient communication: the role of language, education and ethnicity’, Patient Education and Counseling 102(4), pp. 776-781.

Blom, N., Huijts, T. and Kraaykamp, G. (2016), ‘Ethnic health inequalities in Europe. The moderating and amplifying role of healthcare system characteristics’, Social Science & Medicine 158, pp. 43-51.

Bogic, M., et al. (2012), ‘Factors associated with mental disorders in long-settled war refugees: refugees from the former Yugoslavia in Germany, Italy and the UK’, The British Journal of Psychiatry 200(3), pp. 216-223.

Brendler-Lindqvist, M., Norredam, M. and Hjern, A. (2014), ‘Duration of residence and psychotropic drug use in recently settled refugees in Sweden – a register-based study’, International Journal for Equity in Health 13(1), p. 1.

De Kock, C. (2020), ‘European inspiring practices for substance use treatment among migrants and ethnic minorities’, in De Kock, C., et al. (eds.), Mapping & enhancing substance use treatment for migrants and ethnic minorities, Belspo, Bruxelles.

De Kock, C. (2022), Responding to drug-related problems among migrants, refugees and ethnic minorities in Europe, Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA).

EMN (2019), Annual report on migration and asylum 2018, Réseau européen des migrations.

Giacco, D., Laxhman, N. and Priebe, S. (2018), ‘Prevalence of and risk factors for mental disorders in refugees’, Seminars in Cell & Developmental Biology 77, pp. 144-152.

Greene, M. C., Ventevogel, P. and Kane, J. C. (2019), ‘Substance use services for refugees’, Bulletin of the World Health Organization 97(4), pp. 246-246A.

Guerrero, E. G., et al. (2012), ‘Do cultural and linguistic competence matter in Latinos’ completion of mandated substance abuse treatment?’, Substance Abuse Treatment, Prevention, and Policy 7(1), p. 34.

Guerrero, E. G., et al. (2015), ‘Paths to improving engagement among racial and ethnic minorities in addiction health services’, Substance Abuse Treatment, Prevention, and Policy 10(1), p. 40.

Harris, S., et al. (2019), ‘Substance use disorders in refugee and migrant groups in Sweden: a nationwide cohort study of 1.2 million people’, PLoS Medicine 16(11).

Horyniak, D., et al. (2016), ‘Epidemiology of substance use among forced migrants: a global systematic review’, PLoS ONE 11(7).

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À propos de ce mini-guide

Ce mini-guide présente une vue d’ensemble des éléments à prendre en considération lors de la planification ou de la fourniture de réponses sanitaires et sociales pour les migrants qui font usage de drogues, et passe en revue les interventions disponibles et leur efficacité. Il examine également les conséquences sur les plans politique et pratique. Ce mini-guide s’inscrit dans le cadre plus vaste du document intitulé Health and social responses to drug problems: a European guide (Réponses sanitaires et sociales apportées aux problèmes de drogue: un guide européen).

Cette publication doit être référencée comme suit: Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (2023), Migrants and drugs: health and social responses (Migrants et drogues: réponses sanitaires et sociales), https://www.emcdda.europa.eu/publications/mini-guides/migrants-and-drug…..

Identifiants

HTML: TD-02-23-181-FR-Q
ISBN: 978-92-9408-027-1
DOI: 10.2810/338124


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